lundi 10 novembre 2008

Miriam Makeba nous a quittés



Miriam Makeba a succombé le 9 novembre à une crise cardiaque à la suite d'un concert en Italie. Elle avait 76 ans. "Mama Africa", comme certains la surnommaient, avait été la première chanteuse africaine à rencontrer un succès international. Mais la grande dame fut aussi une combattante de tous les instants, se servant de sa notoriété pour défendre ses convictions sur la planète entière.
Miriam Makeba avait un double statut : première chanteuse africaine à avoir obtenu un succès international, applaudie sur les scènes du monde entier pendant près de quatre décennies, l’auteur de Pata Pata était aussi le symbole de la lutte contre l’apartheid. “Ma vie, ma carrière, chaque titre que je chante et chaque concert sont liés au destin de mon peuple”, expliquait-elle dans son autobiographie, Makeba My Story, publiée en 1988.

Chaque fois que l’opportunité s’est présentée, l’artiste sud-africaine s’est fait fort de prendre la parole pour dénoncer le système de ségrégation raciale appliqué dans son pays. Ce n’est pas seulement sa voix de "songbird" que l’on venait écouter, mais aussi les mots d’une combattante longtemps bannie de son pays, apôtre d’une Afrique libre et indépendante qu’elle appelait de ses vœux à l’unité.

Avec le temps, elle était devenue "Mama Africa". Assumant pleinement ce rôle, elle fut distinguée de nombreuses fois pour son engagement constant : le prix Dag Hammarskjöld, le grand prix du Conseil international de l’Unesco… En 2002, elle avait reçu les insignes de commandeur de la Légion d’honneur des mains du président français Jacques Chirac.

A 73 ans, Miriam Makeba avait annoncé son intention se retirer de la scène, mais elle tenait d’abord à saluer son public dans tous les pays où elle s’était produite. Lancée en septembre 2005, sa longue tournée d’adieux dura quatorze mois. Un véritable périple, à l’image de son existence.

Début à Soweto

Née à Soweto le 4 mars 1932, elle commence véritablement à chanter à 22 ans au sein des Manhattan Brothers, un ensemble vocal très populaire. L’époque est au township jazz, mariage du swing et des mélodies traditionnelles. Avec le quartet féminin des Skylarks, avec la revue African Jazz & Variety, la jeune femme multiplie les expériences.

Sollicitée par le réalisateur américain Lionel Rogosin pour interpréter deux de ses chansons dans Come Back Africa (coécrit par le romancier essayiste Lewis Nkosi), elle parvient à se rendre en 1959 au festival de Venise où le documentaire est projeté, sans se douter des répercussions de sa participation à ce long-métrage qui fait découvrir les conditions de vie des Noirs en Afrique du Sud.




Quelques mois plus tard, alors que la chanteuse enchaine les contrats aux Etats-Unis, son ambassade lui confisque son passeport, l’empêchant de retourner dans son pays assister à l’enterrement de sa mère. L’avertissement est clair mais Miriam Makeba ne veut plus se taire. En 1963, devant le Comité Spécial pour la décolonisation des Nations Unies, elle exhorte la communauté internationale à agir contre l’apartheid et "ses



dirigeants fous" parle d’un Etat transformé "en vaste prison". En représailles, Pretoria la déchoit de sa nationalité, interdit la vente à la diffusion de sa musique.

Exil

L’exil donne à l’artiste une autre dimension, d’autant plus que sa carrière outre-Atlantique est bien lancée. Au premier album éponyme commercialisé en 1960 par la major RCA avec le soutien des musiciens d’Harry Belafonte, qui l’a prise sous sa protection, succède The Many Voices of Miriam Makeba. On lui demande de venir chanter à l’anniversaire du président Kennedy.

Puis vient The World of Miriam Makeba, produit par Hugo Peretti et Luigi Creatore, qui avaient adapté le classique sud-africain Mbube pour en faire le hit The Lion Sleeps Tonight interprété par les Tokens. C’est dans ce créneau qu’on cherche à inscrire son répertoire qu’elle chante en zoulou, en xhosa, en anglais, en espagnol, en portugais… La recette fonctionne.

Sorti en 1965, An Evening With Belafonte/Makeba est récompensé par un Grammy Award dans la catégorie folk traditionnel. L’année suivante, Pata Pata devient un tube, à tel point qu’il occultera souvent le reste de son répertoire. La chanson sera reprise des centaines de fois, de Tito Puente à Manu Dibango, en passant par Sylvie Vartan (Tape tape, 1967).

Sa notoriété lui vaut d’être souvent l’hôte de nombreux chef d’Etats africains avec lesquels elle entretient des relations d’amitiés – ce qui lui sera parfois reproché – , de jouer lors de l’inauguration de l’Organisation de l’unité africaine à Addis-Abeba, lors des fêtes des indépendances. Invitée par le président Sékou Touré à venir vivre en Guinée, elle accepte sa proposition en 1969, fuyant les Etats-Unis où sa situation avait tout à coup changé.

Après avoir divorcé du saxophoniste sud-africain Hugh Masekela, elle a épousé Stokely Carmichael, activiste des Black Panthers. Le couple est surveillé par le FBI, les galas de Miriam Makeba sont étrangement annulés. Si elle continue à se produire souvent à travers le monde, comme à Kinshasa lors du mythique combat de boxe entre Mohammed Ali et George Foreman, son retour sur le sol africain marque le début d’une période moins prolifique sur le plan artistique.

Pour Sylliphone, le label national guinéen, elle enregistre une trentaine chansons et sort deux albums : en 1971, L’Appel à l’Afrique, en public au Palais du peuple de Conakry, puis en 1975 Miriam & Bongi, en duo avec sa fille, dans lequel elle reprend Jeux interdits et L’Enfant et La Gazelle, chanté auparavant par Nana Mouskouri. Avec la tournée Graceland de Paul Simon, elle réapparait au premier plan à la fin des années 80 et retourne en studio pour Sangoma, un disque de musique traditionnelle xhosa.

Retour au pays

Dans son pays, la victoire contre l’apartheid est proche. Quatre mois après la libération de Nelson Mandela, le leader de l’ANC, la chanteuse foule enfin sa terre natale, au terme d’un exil qui a duré plus de 30 ans. Honorée par ses compatriotes qui ne l’ont pas oubliée et devant lesquels elle peut enfin se produire en 1991, elle entend profiter de son retour, de sa famille, mais tient à défendre de son mieux cette nouvelle Afrique du Sud qu’elle a si longtemps espérée. L’année suivante, elle joue aux côté de Whoopi Goldberg dans Sarafina, un film basé sur les événements de Soweto qui se sont déroulés en 1976, lorsque les manifestations de la jeunesse noire furent violemment réprimées.

Régulièrement, elle revient dans l’actualité musicale. Pour les concerts suivant Homeland, son dernier album en date publié en 2000 sur lequel figurent deux compositions de Lokua Kanza, elle est accompagnée par un orchestre qu’elle appelle sa "petite OUA", avec des musiciens camerounais, malgache, mozambicain, sénégalais… Panafricaine dans l’âme, pionnière de la world music, Miriam Makeba est restée jusqu’à la fin de sa vie une artiste militante, ambassadrice de tout un continent.

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