mercredi 10 décembre 2008

Stéphane Hessel, l'infatigable survivant


Stéphane Hessel était un tout jeune diplomate en décembre 1948. Il se souvient «d'un moment de tension et de suspense total» lors du vote de la Déclaration universelle des droits de l'homme. : Daniel Fouray.

Il fut l'une des chevilles ouvrières de la Déclaration universelledes droits de l'homme, adoptée à Paris il y a 60 ans. Événement chargé d'espoir au lendemain du nazisme. À 91 ans, bon pied, bon oeil, Stéphane Hesselen est le dernier témoin vivant, toujours sur la brèche. Une vie extraordinaire.
Palais de Chaillot, 10 décembre 1948. Il est là tout jeune diplomate, pionnier de l'Onu. Il a failli être exterminé dans le camp de Dora. Il a 31 ans. Stéphane Hessel se souvient « d'un moment de tension et de suspense total ». Un pays, sur les 56 que comptent alors les jeunes Nations unies, va-t-il oser dire non aux droits fondamentaux ? Faire tout capoter. L'URSS de Staline ? L'Arabie Saoudite, guère friande de l'égalité entre hommes et femmes ? « Il fallait concilier tout le monde mais ne rien céder sur l'essentiel. »

Vote final : 48 voix pour et 8 abstentions. Pas une voix contre. Moment magique. « La pression de l'Histoire était très forte. Celui qui aurait eu le triste courage de voter contre aurait été mis au ban des nations. » Il est de toutes les négociations. 83 réunions préparatoires. Il dirige le cabinet du secrétaire général adjoint de l'Onu. Il est l'ami de l'éminent juriste et homme politique René Cassin. Mais pas le co-rédacteur de la déclaration. « Ce serait un gros mensonge de le prétendre. Cette déclaration universelle, on la doit aux talents de René Cassin et d'Eleanor Roosevelt, l'épouse du président américain. »

Dans son appartement parisien qui a l'air plus vieux que son occupant, le téléphone sonne sans cesse. Appels du monde entier. D'une imperturbable courtoisie, Hessel répond de sa voix mélodieuse, ronde et syncopée. La voix incarnée du diplomate. Il manie aussi bien le français que l'allemand ou l'anglais. Il est trilingue.

« C'est un homme fascinant », dit de lui Jean-Michel Helvig qui a publié « Citoyen sans frontières », une longue conversation avec Hessel. Fascinant non parce qu'il a survécu, mais parce qu'il semble avoir été toujours là où il fallait être. À Londres avec De Gaulle. Aux côtés de Cassin. Près de Mendès-France, le décolonisateur. Il est tiers-mondiste, écologiste avant l'heure, défenseur des sans-papiers, médiateur entre Israël et la Palestine...

Ma vie ? « Une histoire à dormir debout. » Et il enchaîne, d'un ton détaché, le récit de sa naissance en 1917 à Berlin, « petit Allemand » qui s'installe à Paris en 1924 « et devient un petit Français comme les autres ». Naturalisation en 1937. Arrive la guerre. Prisonnier en Sarre, il se fait la belle. « Un prisonnier est fait pour s'évader. »

Son compagnon de cavale, Pierre Senonge, un Breton, lui parle de l'appel du 18 juin d'un certain général de Gaulle. Il rejoint Londres et les services de contre-espionnage. En mission en France, il est arrêté par la Gestapo, le 10 juillet 1944. Déporté à Buchenwald, condamné à mort, il est sauvé par un changement d'identité. « J'ai pris celle d'un jeune Français mort du typhus, Michel Boitel ». Évasion. Nouvelle arrestation. Direction Dora, le camp d'extermination, où les évadés sont généralement pendus. Nouvelle évasion, d'un train cette fois.

Stéphane Hessel est un survivant. « Et comme tous les rescapés de ces camps, je ressens un sentiment absolu de responsabilité envers ceux qui y ont laissé leur peau. »

En 1937, à l'École nationale supérieure, à l'image d'un Sartre, il s'imaginait en professeur de philosophie, écrivain peut-être comme son père, Franz. « La guerre en a décidé autrement. À la Libération, je n'ai qu'une volonté, m'occuper de relations internationales. » Il est reçu au concours du Quai d'Orsay, le 15 octobre 1945, et affecté à New-York aux Nations unies, définitivement enrôlé dans les « fantassins des droits de l'homme » chers à Cassin.

Lucide sur les petits pas accomplis, les échecs subis, il est resté fidèle à sa vocation de médiateur. Un héritage de son enfance mi-allemande mi-française ? « Peut-être. En tout cas, c'est ce rôle de conciliateur entre pays et parties opposés qui m'a donné le plus de plaisir dans ma carrière. » Et médiateur, il l'est encore aujourd'hui dans l'affaire Chalit, ce jeune soldat franco-israélien détenu par le Hamas.

Il a suivi de très près la création d'Israël en 1948. « Je m'en suis réjoui ». Il est lui-même moitié juif par son père et moitié protestant par sa mère, Helen Gründ, forte personnalité qui a inspiré le personnage de Jeanne Moreau, dans « Jules et Jim » de Truffaut. Mais il n'a jamais été formé au judaïsme. « Je suis agnostique. » Aujourd'hui, ce pays le désespère. « Il ne respecte pas les droits des Palestiniens. » Quel gâchis !, murmure Hessel. « Je me dis que je quitterai cette Terre sans que le problème avec la Palestine soit résolu. »

Enfant, il n'aimait pas son prénom, Stéphane. Il préférait se faire appeler « Kadi ». « Sans doute la sonorité me plaisait-elle. » Une vieille cousine le surnomme encore ainsi. « Bien plus tard, j'ai su que Kadi signifiait arbitre en arabe. J'avais du nez, n'est-ce pas ! » Dernière singularité : la poésie est son élixir de jeunesse, « ma cabane ». Il connaît par coeur 88 poèmes. Poèmes en trois tiers parfaits : français, anglais, allemand.

Le téléphone sonne à nouveau. Fin des confidences. Un ami allemand souhaite le rencontrer. On s'arrache Stéphane Hessel. Son agenda est noir de rendez-vous.

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